Ai-je fait ce qu'il fallait? : Réflexions posthumes

Par : Pat Murphy, B.Éd., M.Éd. et George Webster, B.A., M.A., D.Min

Ma mère est décédée il y a neuf mois. Mon frère et moi avons décidé de mettre fin aux interventions médicales destinées à prolonger sa vie. Ma mère nous avait demandé de prendre les décisions par rapport à sa santé si elle ne pouvait plus le faire un jour. Lorsque les médecins et le personnel infirmier nous ont recommandé de « laisser la nature suivre son cours », mon frère et moi étions certains de prendre la bonne décision. Nous savions qu’il existait des interventions qui pourraient la garder en vie, mais nous avons pensé qu’elle les aurait trouvées trop agressives. Je n’avais jamais imaginé que ce serait si difficile, mais nous avons réussi à passer à travers.

Depuis quelques mois, je me suis surprise à remettre cette décision en question. Avons-nous vraiment pris la bonne décision? Le mari de ma meilleure amie a été choqué d’apprendre que nous avions « abandonné notre mère », avait-il déclaré. Il m’a carrément dit que ce que nous avions fait était mal et immoral. Mon frère demeure serein par rapport à la façon dont notre mère est morte. J’ai peur de le mettre en colère si je ramène le sujet. Mais il m’arrive de me sentir torturée par rapport à tout cela. Comment savoir si c’était la bonne décision?

 

Dans les jours et les mois qui suivent le décès d’un proche, il est normal de revivre les moindres détails de la maladie de cette personne. Les gens repensent aux conversations avec les professionnels de la santé à propos des options de traitement et revivent le moment précis où ils ont décidé d’opter pour le confort de leur proche tout en « permettant » son décès. Il s’agit d’un moment charnière tant pour la personne mourante que pour ses parents et amis qui lui survivent.

Nous sentons tous le poids de telles décisions, ce qui nous amène à nous demander si nous avons fait le bon choix. En fait, loin d’être un indice que vous avez fait quelque chose de mal ou d’immoral, l’anxiété, la peine et l’incertitude qui demeurent après le décès sont vraisemblablement une mesure de votre degré de proximité avec la personne disparue.

La question « Comment savoir si c’était la bonne décision? » exprime sans doute l’une des incertitudes les plus courantes et troublantes vécues après le décès d’un être cher. Cela est particulièrement vrai lorsque la mort résulte du choix explicite de mettre de côté les tentatives continues de sauvetage médical pour se concentrer sur des interventions axées sur le confort de la personne mourante. Cet article propose quelques réflexions sur l’expérience dérangeante de l’incertitude morale, soit le fait de se demander si l’on a fait le bon choix.

 

Prendre des décisions judicieuses

Quand il s’agit de prendre des décisions pour soi-même, bien des gens ont une idée précise des soins qu’ils pensent vouloir en fin de vie. Pour une personne en mesure de s’exprimer, « prendre la bonne décision » c’est faire connaître sa volonté d’accepter ou de refuser des traitements qui prolongent la vie et faire respecter cette volonté par les aidants familiaux et les soignants professionnels. Lorsque les souhaits sont clairs par rapport aux soins de fin de vie, l’incertitude morale de tout l’entourage semble amoindrie.

Toutefois, l’histoire racontée plus tôt est une situation beaucoup plus fréquente, soit que les décisions sont prises au nom de la personne malade. C’est ce qui se passe lorsqu’un patient est gravement atteint par la maladie et souhaite simplement laisser les décisions à d’autres, ou qu’il est incapable d’exprimer ses désirs.

Si une personne n’est pas en mesure de prendre des décisions sur les soins qui s’offrent à elle, on demande au conjoint, aux enfants adultes ou à d’autres membres de la famille ou amis proches de la représenter à titre de mandataire. Or, même si ces personnes sont très confiantes en ce qui concerne leurs propres soins de santé, elles pourraient être moins à l’aise de prendre ce genre de décision pour d’autres. C’est dans ce genre de circonstance que « prendre la bonne décision » risque d’entraîner de l’incertitude morale.

 

Décider pour d’autres

Mettez-vous à la place de la fille de la dame malade et imaginez que l’on vous a demandé de la représenter, donc que vous êtes sa mandataire. Les réponses aux questions ci-dessous pourraient vous aider à comprendre ce rôle :
•    Pourquoi vous a-t-on demandé d’être mandataire?
•    Pourquoi accepteriez-vous ce rôle?
•    Que vous a-t-on demandé de faire?
•    Comment comptez-vous aborder ce rôle?

Si une personne vous demande de la représenter, c’est qu’elle une confiance inébranlable en vous. Elle a confiance que vous prendrez les décisions par rapport à ses soins de santé en tenant compte de qui elle est et de ses convictions.

Le plus souvent, les gens acceptent le rôle de mandataire comme façon d’exprimer leur amour et leur affection. Les liens familiaux et amicaux entraînent des fonctions et des obligations qui s’appliquent tant dans des moments ordinaires et quotidiens que dans les situations extraordinaires entourant la maladie et l’approche de la mort.

Il arrive qu’une personne accepte le rôle de mandataire parce que la personne malade lui a demandé directement de le faire. Lorsqu’aucune demande directe n’a été formulée, les prestataires de soins estiment habituellement que les proches de la personne mourante sont les mieux placées pour les renseigner sur les valeurs, les croyances, les souhaits, les objectifs et les préférences de celle-ci. Ils ont vraiment besoin de tels renseignements pour prévoir les soins les mieux adaptés au bien-être général de la personne mourante, ce qui comprend les soins physiques, les liens sociaux, le bien-être affectif et l’intégrité spirituelle.

On s’attend à ce que les mandataires soient « le cerveau » de la personne malade. Ils doivent faire connaître ses demandes particulières et exprimer ce qu’ils pensent qu’elle voudrait en fonction des événements.

Les mandataires doivent tenir compte des objectifs de la prise en charge et des traitements qui favoriseraient l’atteinte de ces objectifs en répondant à des questions comme celles-ci :
•    Si la personne malade pouvait voir ce qui se passe maintenant, qu’est-ce qui serait logique pour elle?
•    Quelles thérapies trouverait-elle bénéfiques ou utiles?
•    Y a-t-il des interventions qu’elle considérerait comme un fardeau ou inutiles?
•    Si aucune cure n’est possible, y a-t-il des risques qu’elle aimerait éviter ou qu’elle tenterait de réduire (douleur, souffrance, etc.)?
•    Y a-t-il quoi que ce soit qu’elle voudrait protéger ou promouvoir en particulier (amitié, bien-être spirituel, etc.)?

 

Est-ce que le fait d’être triste signifie que l’on n’a pas pris la bonne décision?

Le travail moral d’un mandataire est délicat sur le plan humain. Même s’il représente quelqu’un d’autre, il ne cesse pas d’être lui-même – un fils, une fille, une sœur, un frère, un conjoint, un ami de longue date. Après la mort de l’être cher, la douleur et la tristesse que ressentent parfois les survivants pourraient porter le mandataire à penser qu’il n’a pas pris la bonne décision.

Cette difficulté transparaît dans la vive réaction de la fille de la patiente par rapport au commentaire du mari de son amie, comme quoi elle et son frère avaient d’une certaine façon laissé mourir leur mère ou, comme il l’avait dit, qu’ils l’avaient « abandonnée ». Un tel jugement peut être dévastateur pour un mandataire qui a essayé de représenter fidèlement un être cher à l’un des moments les plus difficiles de la vie. Il est facile de comprendre que cette femme se sente « torturée par rapport à tout cela », qu’elle soit portée à penser qu’une « bonne personne » voudrait toujours empêcher le décès d’un être aimé, qu’une « bonne personne » se sentirait obligée de la maintenir en vie.

De tels sentiments sont compréhensibles et risquent de nourrir l’incertitude que vivra toute personne appelée à jouer un rôle de mandataire. Nombreux sont ceux qui admettent ressentir une profonde ambivalence dans ce rôle : ils aimeraient d’une part que leur parent ou ami meure le plus paisiblement possible et d’autre part qu’il ne soit plus malade et que la vie revienne à la normale. Toutefois, comme dans bien d’autres aspects de la vie humaine, il faut agir malgré l’ambivalence.

 

La « bonne décision » au cœur du sujet

Il peut être utile de penser que la question « Comment savoir si c’était la bonne décision? » est fondamentalement une question éthique et non seulement une question technique ou médicale. Elle nous porte à réfléchir à la façon d’agir pour respecter l’humanité de la personne qui nous est chère, et la nôtre.

Représenter les personnes que nous aimons et les aider à bien vivre jusqu’au moment de leur mort est un engagement envers leur bien-être. Par définition, c’est un geste éthique. Pour certains, la certitude qu’un mandataire finira par connaître, c’est en quelque sorte celle « d’avoir consacré une attention empreinte de sensibilité, de compassion et d’honnêteté à un problème humain profondément troublant et mystérieux1 ». [traduction libre]

 

Références

1 Albert R. Jonsen, Avant-propos, xix, dans Complex Ethics Consultation: Cases That Haunt Us. Cambridge: University Press.

Lecture suggérée
Ford, P.J. et Dudzinski, D.M. (dir.). (2008). Complex Ethics Consultations: causes That Haunt Us. Cambridge: University Press.


Contenu revu en janvier 2023

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