Je suis née au début des années 50 dans une famille dans une famille unie composée de cinq enfants et de deux parents travaillants et dévoués. J’ai grandi dans une petite ville du centre de la Colombie-Britannique.
Quand je repense à cette époque, je n’arrive guère à me remémorer un incident lié au mourir ou à la mort. En tant que citadine, j’étais rarement témoin du processus naturel de la vie et de la mort comme c’est plus souvent le cas lorsqu’on vit près de la nature. On avait toutefois un potager assez grand en été, et mon oncle élevait du bétail.
L’année de mon 10e anniversaire, mon grand-père est tombé gravement malade. Il est décédé subitement à l’hôpital, et on ne m’a pas laissé venir à ses funérailles. C’est comme si la mort était censée être tenue à distance. Dans un tel système de valeurs, je n’ai jamais eu l’occasion, durant mon enfance, d’être exposée aux réalités du mourir, de la mort et du deuil en tant que réalités normales de la vie de tous les jours.
Mon histoire n’est probablement pas très différente de celle de nombreuses personnes en Occident. Je constate la prévalence d’un thème contemporain qui continue de s’immiscer dans toutes les facettes de notre culture, un thème qui conditionne notre rapport avec le mourir et la mort. On le voit dans la quête de la jeunesse, dans le fait de recourir à autrui pour s’occuper de tout ce qui entoure la mort et les soins post-mortem, de sorte que l’on s’éloigne constamment du processus naturel de la vie et de la mort. Je constate encore la prévalence d’une angoisse, d’une peur du vieillissement, de la maladie, du deuil, du mourir et de la mort, de sorte que très peu d’entre nous sont directement confrontés à la mort.
Mon vécu par rapport au mourir et à la mort a changé du tout au tout après mon premier mariage. À l’âge de 18 ans, j’ai épousé un membre d’une Première Nation et je me suis intégrée à sa communauté. Presque aussitôt, j’ai été exposée à une tout autre conception du mourir, de la mort et du deuil. Mon mari était issu d’une communauté nordique éloignée où la mort s’invitait souvent et faisait partie intégrante de la vie de tous les jours. Dans son village, les problèmes d’alcool et de toxicomanie provoquaient de nombreux décès chez des personnes plutôt jeunes. À cela s’ajoutaient les décès accidentels et les morts de causes naturelles comme l’âge et la maladie. En peu de temps, mon vécu par rapport à la mort s’est radicalement transformé.
Chez les Tl’atz’en, les questions entourant le mourir et la mort mobilisent fortement la communauté. Ce fut une expérience assez troublante pour moi, à ma première vigile, de voir pour la première fois le corps d’un défunt étendu dans une maison. Étonnamment, il m’a fallu très peu de temps pour m’habituer à cette façon singulière mais sincère de dire au revoir à quelqu’un. Les vigiles auxquelles j’ai assisté étaient de belles cérémonies de vénération pour l’ultime transition. Devant la dépouille, les enfants étaient invités à côtoyer la mort dans le respect. Toutes les personnes présentes bénéficiaient du privilège de voir la mort comme une partie de la vie.
J’ai regardé les autres pleurer, vivre leur deuil ouvertement, rire, se remémorer des souvenirs, prier, chanter et célébrer la vie du défunt, et je les ai accompagnés dans tout cela. J’ai senti la douleur s’installer dans mon corps sans que ce soit mal ou mauvais. J’ai vu ce que c’était que d’honorer ouvertement le départ de quelqu’un, de célébrer et de pleurer en communauté, et d’accepter la mort comme une partie de la vie. J’ai vu des familles et des membres de la communauté être appelés à accompagner des malades, des personnes âgées, des mourants et des morts. Pour eux, c’était un honneur et un privilège.
Comme membre de cette communauté, j’ai accompagné plusieurs personnes dans leur transition entre la vie et la mort. On m’a demandé de participer aux soins des défunts, j’ai eu à ramener des dépouilles au village, j’ai tenu un petit bébé dans mes bras pendants plusieurs heures jusqu’à son dernier souffle et j’ai fait des tâches ménagères et cuisiné des repas pour des personnes endeuillées. J’avais de toujours de nouvelles occasions de développer un nouveau rapport au mourir et à la mort.
Avec le temps, j’en suis venue à me faire un honneur d’accompagner quelqu’un dans ses dernières heures et de réconforter ses proches après son décès. La culture de la mort, qui était bien ancrée dans les us et coutumes des Tl’azt’en, m’a permis de découvrir de nouvelles façons de soutenir les mourants avant et après leur mort.
On pourrait dire que les Tl’atz’en m’ont appris l’art de la sage-femmerie mortuaire. Je dirais que, dans notre culture occidentale contemporaine, c’est un art perdu. Je considère pourtant que la sage-femmerie mortuaire fait partie de notre nature humaine. C’est inscrit dans nos gènes.
Il existe maintenant un regroupement de personnes désireuses d’apprendre aux gens comment rapprocher la mort de la vie moderne. Réunis au sein de la Canadian Community for Death Midwifery (communauté canadienne pour la sage-femmerie mortuaire), nous sommes en train de développer une série de meilleures pratiques sur la manière de communiquer les principes de la sage-femmerie mortuaire. Nous déplorons tous l’aliénation culturelle du mourir, de la mort, des soins post-mortem et du deuil dans la société contemporaine. Nous estimons que la mort fait normalement et naturellement partie de la vie et qu’il est important de s’investir activement aux côtés des mourants ainsi que dans les soins post-mortem et le travail de deuil. Nous militons pour une écologie profonde des soins post-mortem. Dans le cadre de notre démarche, nous sommes en train de développer un site internet qui offrira bientôt aux Canadiens de nombreuses ressources pour rétablir leur rapport avec le mourir et la mort.
Tout le temps que j’ai passé chez les Tl’azt’en m’a bien servie, et la pratique de la sage-femmerie mortuaire occupe désormais une grande place dans ma propre famille. L’ironie veut que ce sera ceux-là mêmes qui m’avaient écartée des funérailles de mon grand-père, en l’occurrence ma mère et mon père, qui me permettront de mettre ces enseignements en pratique. Armée de courage et pleinement consciente de l’importance de prendre soin de nos mourants et de nos morts, j’ai fait des recherches pour savoir ce qu’il était nécessaire et légal de faire en-dehors d’une communauté des Premières Nations lorsque l’on veut permettre à quelqu’un à mourir à la maison et lui prodiguer ensuite les soins post-mortem. C’est ainsi que j’ai encouragé ma famille, après de longues heures de discussions et d’échanges, à accompagner mon père et ma mère dans leur processus de mort.
En 2010, nous avons ramené mon père à la maison et il a rendu l’âme au milieu des siens. Nous avons ensuite pris soin de son corps tous ensemble avec amour et avons tenu une vigile de trois jours pour célébrer et honorer sa vie, pleurer son départ et nous réconforter mutuellement. Ma mère est décédée en 2012 et nous avons eu la chance de l’emmener mourir à la maison et de nous occuper d’elle par la suite. Une fois de plus, nous avons tenu une vigile de trois jours pendant lesquels nous nous sommes remémoré des souvenirs tout en pleurant, en riant, en mangeant et en dansant tous ensemble. Nous bel et bien joué le rôle de sages-femmes mortuaires avec mes parents et nous comptons faire de même avec nos autres parents et amis qui voudront mourir différemment. Le fait d’avoir accompagné mes parents dans leurs derniers instants et après leur mort compte parmi les moments les plus précieux de ma vie. En guise de gratitude, je veux transmettre à d’autres ce que j’ai appris.