Médicaments
Pouvez-vous nous recommander une table de conversion à utiliser lorsqu’on effectue une rotation d’opioïdes?

Il existe plusieurs tables d’équianalgésie des opioïdes comprenant des variations de taux de conversion recommandés. Cependant, ces tables présentent plusieurs problèmes :

  • Elles ne tiennent pas compte de la tolérance croisée incomplète. Les tables de conversion proviennent généralement d’études à dose unique effectuées auprès de patients naïfs aux opiacés souffrant de problèmes bien définis, comme une douleur postopératoire ou attribuable à une extraction dentaire. Ces patients n’ont pas développé de tolérance aux opioïdes. Lorsqu’on change d’opioïdes chez les patients traités en soins palliatifs, ces derniers ont développé une tolérance à leur opioïde actuel. Cependant, ils n’auront pas tout à fait la même tolérance au nouvel opioïde qu’on commence à leur administrer, c’est-à-dire que la tolérance n’est pas complètement croisée (tolérance croisée incomplète). Chez un patient naïf aux opiacés, une dose de 10 mg de morphine a tendance à équivaloir à environ 2 mg d’hydromorphone. Cependant, chez la personne qui a développé une tolérance à une dose de 1000 mg de morphine toutes les 4 heures, cette tolérance ne sera pas entièrement éliminée avec l’hydromorphone. Au lieu de tolérer 200 mg d’hydromorphone, la personne peut en tolérer seulement 50 à 100 mg, ou même beaucoup moins.
  • Elles ne tiennent pas compte des différences individuelles en matière d’efficacité des opioïdes. L’importance des différences pharmacogénétiques en ce qui a trait aux récepteurs d’opioïdes et au métabolisme est de plus en plus reconnue. Cependant, il n’est pas possible de prédire ceci ni d’en tenir compte au chevet du patient.
  • Elles peuvent être particulièrement dangereuses dans les cas d’hyperalgie induite par les opioïdes (qui peut être considérée comme faisant partie du spectre de la neurotoxicité induite par les opioïdes). Il s’agit d’une situation unique de tolérance très élevée aux opioïdes et de tolérance croisée incomplète, comme décrit plus haut. Cela n’est pas aussi rare qu’on pourrait le penser, et c’est le scénario dans lequel se produit la rotation des opioïdes. Dans ces situations, on pense que les métabolites actifs des opioïdes (morphine-3-glucuronide et hydromorphone-3-glucuronide) s’accumulent et provoquent une hyperalgie généralisée ainsi que la myoclonie et le délire. Pour contrer l’hyperalgie, le personnel médical augmente souvent les doses d’opioïdes, ce qui ne fait qu’aggraver le problème. Nous avons déjà vu un patient passer d’une dose de morphine sous perfusion de 5 mg à l’heure à 700 mg à l’heure en trois jours dans de vains efforts pour traiter la douleur que la morphine elle-même provoquait (par ses métabolites). Il est impossible d’estimer les besoins réels en matière d’opioïdes chez ces patients lorsqu’on change d’opioïde. De plus, l’utilisation de tables équianalgésiques est susceptible de causer de graves torts au patient.

Des études récentes[1,2,3,4,5] remettent en cause la sécurité et le rôle des tables de conversion. Selon l’une d’elles, l’utilisation des taux de conversion qui se trouvent dans ces tables pourrait contribuer de façon importante à l’augmentation du nombre de décès liés aux opioïdes[1].

Le « nouveau paradigme » décrit par Webster et Fine[2] comprend la rotation des opioïdes sans tables de conversion. Il s’agit d’un processus lent et on suppose qu’il n’y a pas de besoin clinique urgent de changer de médicament, comme ce qu’on observerait dans le cas d’une neurotoxicité induite par les opioïdes. Le processus est le suivant[2] :

  1. Commencer à diminuer le titrage de l’opioïde original en réduisant la dose actuelle de 10 à 30 % tout en commençant à administrer le nouvel opioïde à une dose qui serait normalement administrée à un patient naïf aux opiacés ou à la plus faible dose possible pour cette formulation.
  2. Diminuer lentement la dose quotidienne totale de l’opioïde original d’environ 10 à 25 % par semaine tout en augmentant la dose quotidienne du nouvel opioïde d’environ 10 à 20 % selon les besoins cliniques et l’innocuité. Dans la plupart des cas, le changement complet peut prendre trois à quatre semaines.
  3. Administrer suffisamment d’opioïde à libération immédiate tout au long de la rotation pour prévenir le sevrage ou une douleur accrue si la dose modifiée s’avère insuffisante. Cela minimise le risque d’automédication due à un soulagement inadéquat, qui pourrait entraîner la mort.

Une étude récente sur la fiabilité des applications pour téléphones intelligents permettant la conversion des opioïdes soulève des préoccupations importantes en ce qui a trait à la fiabilité de l’information fournie et, dans de nombreux cas, à l’absence d’information reposant sur un contenu scientifiquement fondé ou ayant fait l’objet d’une évaluation par les pairs. Il est essentiel de mieux réglementer ces applications afin de veiller au maintien de la sécurité du patient.

Sur la base de ce qui précède, voici quelques recommandations :

  1. La conversion des opioïdes comporte deux principaux risques : (1) une sous-administration; (2) une suradministration. En ce qui a trait à la possibilité de dosage insuffisant, des entredoses importantes seront bénéfiques pour le patient. De la même façon, l’éducation du patient et de la famille à propos des signes à surveiller en cas d’excès d’opioïdes est importante. L’entredose correcte est tout simplement celle qui est efficace et qui entraîne des effets indésirables acceptables (de préférence, aucun). La détermination de l’entredose adéquate peut nécessiter un titrage empirique (c.-à-d., de procéder par essai et erreur).
  2. Dans tous les cas, il faut tenir compte de la tolérance croisée incomplète. Penser à diminuer de 50 % la dose calculée pour le nouvel opioïde. Plus longtemps le patient a été sous opioïdes et plus la dose est élevée (c.-à-d. plus il est tolérant), plus c’est important.
  3. Parfois, il ne faut pas diminuer la dose de conversion calculée, mais plutôt continuer à administrer une dose généreuse du nouvel opioïde. Par exemple, dans le cas d’un patient qui a récemment commencé à prendre 10 mg de morphine toutes les quatre heures, même si la douleur n’est pas encore bien maîtrisée, il est conseillé de passer à l’hydromorphone à cause des nausées. Si la conversion est de 1:5, la dose d’hydromorphone serait de 2 mg toutes les quatre heures. Nous suggérons de ne pas diminuer cette dose pour tenir compte de la tolérance croisée incomplète, puisque la prise en charge de la douleur est faible. Il s’agit d’un scénario comprenant de faibles doses chez un patient qui ne prend pas d’opioïdes depuis longtemps.
  4. Lorsqu’on change d’opioïde parce qu’on soupçonne une neurotoxicité induite par les opioïdes (hyperalgie, myoclonie, délire, généralement en cas d’insuffisance rénale et d’augmentation rapide de la dose d’opioïdes), la détermination des équivalences devient encore plus imprécise. Il se pourrait que 90 % de la dose actuelle d’opioïde vise à traiter la douleur causée par l’opioïde lui-même. La prise en charge consiste généralement à cesser l’opioïde en cause, à hydrater de façon importante et à administrer des doses p.r.n. d’un autre opioïde jusqu’à ce que l’estimation des besoins de base puisse avoir lieu.
  5. Pour toute conversion au timbre transdermique de fentanyl, utiliser les conversions recommandées dans la monographie du produit comme celui-ci : http://www.janssen.ca/product/114.
  6. Penser à appliquer un taux d’une unité d’hydromorphone pour cinq unités de morphine comme calcul de départ, puis partir de là en gardant à l’esprit les considérations mentionnées plus haut.
  7. Webster et Fine[1,2,4] suggèrent qu’en l’absence de situation urgente sur le plan clinique, il est probablement plus sûr d’entreprendre une conversion progressive.
  8. Avec la méthadone, il sera nécessaire d’obtenir des conseils de la part d’un expert en soins palliatifs ou en prise en charge de la douleur pour examiner les considérations uniques à chaque cas.

Références

1. Webster LR, Fine PG. Review and critique of opioid rotation practices and associated risks of toxicity. Pain Med. 2012;13:562-570.

2. Webster LR, Fine PG. Overdose deaths demand a new paradigm for opioid rotation. Pain Med. 2012;13:571-574.

3. Passik SD. Opioid rotation: what is the rush? Pain Med. 2012;13:487-488.

4. Webster LR, Fine PG. Review and critique of opioid rotation practices and associated risks of toxicity. Pain Med. 2012;13:562-570.

5 Shaheen PE, Walsh D, Lasheen W, et al. Opioid equianalgesic tables: are they all equally dangerous? J Pain Symptom Manage. 2009;38:409-417.

6. Haffey F, Brady RR, Maxwell S. A comparison of the reliability of smartphone apps for opioid conversion. Drug Saf. 2013;36:111-117.


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